Les élections constituent les principaux piliers des démocraties et moyen de légitimation des institutions de gouvernance généralement acceptées.
De ce fait, l’aménagement d’un cadre juridique adéquat ainsi que la meilleure gestion du processus électoral paraissent des véritables préalables au rehaussement de crédibilité du processus, l’acceptation des élections, la réduction des violents conflits contribuant in fine à la consolidation de la démocratie au sein d’un Etat.
En République Démocratique du Congo la crédibilité et la sincérité des résultats des élections font souvent objet des diverses contestations à cause de certaines irrégularités frisant la gestion du processus électoral. Entre autres, l’irrespect partiel du cadre juridique y afférent par la commission électorale, non affichage des résultats dans les centres de compilation, l’annonce des résultats bruts sans traçabilité, la gestion irrationnelle du contentieux électoral par les instances judiciaires compétentes.
En effet des rapports post-électoraux des groupes d’observateurs nationaux ont stigmatisé cela et ont formulé des recommandations en vue des réformes pour le rétablissement de l’intégrité du processus électoral dans les scrutins à venir.
Diverses propositions ont été faites par certaines forces vives de la nation, entre autres ; L’instauration du suffrage universel direct comme mode de scrutin des sénateurs, des gouverneurs des provinces et des conseillers urbains pour plus de légitimité, la restauration de l’élection du président de la république à la majorité absolue à deux tours pour plus de légitimité, l’obligation sous peine de nullité de l’élection de la publication des résultats du bureau de vote par le bureau de vote pour plus de transparence.
L’instauration de l’appel en matière de contentieux de candidature pour garantir le droit de recours et le principe du double degré de juridiction
L’encadrement légal de la machine à voter, la suppression de la CENI pour l’instauration de l’organisation des élections par le ministère de l’intérieur, etc.
Il importe de souligner que, nous estimons que toutes ces propositions susmentionnées paraissent louables, cependant l’une d’elles ne rencontre notre point de vue, il s’agit de « La suppression de l’organisation des élections par la CENI pour l’instauration de l’organisation des élections par le ministère de l’intérieur »
Une option qui à notre point de vue paraît moins avantageuse. Ainsi dans le présent travail il sera essentiellement question de mettre en exergue chaque modèle de gestion électorale avec ses avantages et inconvénients, de déterminer le modèle en vigueur en République Démocratique du Congo, de démontrer brièvement et succinctement en quoi la suppression de l’organisation des élections par un organe ad hoc (CENI) paraît désavantageuse pour notre pays au regard du contexte politique actuel, et de suggérer in fine certaines propositions dans le cadre de l’amélioration de la CENI.
A. CE QU’IL FAUT RETENIR D’UN ORGANISME DE GESTION ELECTORALE
« OGE »
En effet, la complexité de la gestion électorale et les compétences spécifiques qu’elle requiert exigent qu’une ou des institutions soient chargées des activités électorales.
Ces organismes de formes et de dimensions diverses sont désignés de différentes manière, comme « commission électorale », « direction des élections », «conseil électoral », « unité électoral » ou « comité électoral »
Le terme d’ « organisme de gestion électorale » (OGE) a été choisi pour désigner le ou les organismes chargés de la gestion des élections, quel que soit le cadre institutionnel plus général en place. Un OGE est une institution ou un organisme créé dans un but unique : il est juridiquement responsable de la gestion de certains ou de l’ensemble des éléments essentiels à la conduite des élections et à la mise en œuvre des instruments de démocratie directe (référendums, initiatives citoyennes et votes de révocation) si ces derniers font partie du cadre juridique.
Ces éléments essentiels consistent à :
1. Déterminer qui est habilité à voter ;
2. Recevoir et valider les candidatures (pour les élections, les partis politiques et /ou les candidats)
3. Organiser les scrutins ;
4. Dépouiller les bulletins de vote ;
5. Comptabiliser les votes ;
6. Publier les résultats ;
Si divers organismes sont responsables de ces éléments essentiels, ils peuvent alors être tous considérés comme des OGE. Un OGE peut être une institution autonome ou une unité de gestion distincte au sein d’une institution qui est également chargée d’activités autres qu’électorales. Outre la responsabilité de ces éléments essentiels.
Un OGE peut prendre en charge d’autres tâches qui participent à la conduite des élections et à la mise en œuvre des instruments de démocratie directe, notamment l’inscription des électeurs, le découpage électoral, l’éducation et l’information des électeurs, la surveillance des médias et les contentieux électoraux. Cependant, un organisme n’ayant pas d’autre responsabilité électorale que celle, par exemple du découpage électoral (tel qu’une commission de découpage électoral), de la surveillance des médias (tel qu’une commission de surveillance des médias) ou de l’éducation et de l’information des électeurs (tel qu’une commission d’éducation civique) ne saurait être considéré comme un OGE parce qu’il n’est en charge d’aucun des éléments essentiels mentionnés ci-dessus. De même, un institut national de la démographie ou des statistiques qui produit les listes électorales dans le cadre d’un recensement général de la population ne peut être considéré comme un OGE. En République Démocratique du Congo, cet organisme chargé d’organiser le processus électoral se trouve institué à l’article 211 de la constitution congolaise du 18 février 2006.
B. COMPOSITION D’UN ORGANISME DE GESTION ELECTORALE : Mise en exergue de chaque mode opératoire avec ses avantages et inconvénients.
Le type d’OGE approprié à un pays spécifique dépendra de l’environnement politique et du stade de développement démocratique de celui-ci. Ils existent des OGE qui sont composés uniquement des représentants des partis ou regroupements politiques désignés par ces derniers, ceux des experts, dépourvus de toute coloration politique, et enfin des OGE à composition mixte, c’est à dire combinant les deux modes opératoires précités.
v Les OGE fondés sur le multipartisme sont composés de membres désignés par les divers partis ou regroupements politiques. Les pays qui ont fait l’expérience des transitions difficiles d’un régime autoritaire vers une démocratie multipartite ont souvent choisi des OGE reposant sur le multipartisme. Plusieurs analystes électoraux pensent que le fait d’avoir des représentants des partis politiques dans l’OGE entraîne un consensus parmi les acteurs de la compétition électorale et contribue à une meilleure transparence. Cependant, un OGE établi sur la base de partis politiques peut mettre en danger ou gêner la prise de décisions, surtout dans des situations mettant en jeu des intérêts critiques pour les partis politiques.
v Les OGE fondés sur les experts ou non partisans sont constitués des membres ne s’alignant pas sur les partis politiques, nommés pour leurs compétences professionnelles ; ils comptent souvent des personnalités éminentes de la vie publique, connues pour leur neutralité politique. Dans plusieurs cas, le code électoral exige que les membres d’un OGE basé sur l’expertise n’aient pas eu d’activité récente dans un parti politique et qu’ils ne soient pas membres d’un parti politique tandis qu’ils sont membres de l’OGE.
v Les OGE mixtes ont à la fois des membres représentant un parti politique et des membres sans appartenance politique. Il peut en résulter des comités équilibrés, dotés en même temps d’une influence politique et d’une totale transparence, mais cela peut également signifier que l’OGE sera plus faible dans les prises de décisions.
1. OGE fondés sur le multipartisme : avantages et inconvénients
En termes d’avantages l’OGE fondé sur le multipartisme peut ; renforcer la participation électorale en mettant en opposition des forces politiques, il peut encourager la participation des électeurs, il peut accroître la transparence électorale, il peut garantir la participation du parti politique dans le développement des politiques de l’OGE ,il peut garantir des liens avec les parties prenantes les plus importantes, il peut apporter une expérience politique dans la gestion des processus électoraux.
En ce qui est des inconvénients, les actions des membres risquent d’être motivées par l’intérêt politique, l’expérience ou les qualifications professionnelles appropriées peuvent faire défaut, il peut manquer de crédibilité si certains partis sont exclus ou si les partis politiques ne sont pas respectés, le consensus dans la prise de décisions peut se révéler difficile, l’unité de l’OGE peut pâtir des luttes ouvertes entre les partis.
2. OGE fondés sur les experts : avantages et inconvénients
Concernant les avantages, des membres impartiaux et neutres contribuent à la crédibilité de l’OGE, vraisemblablement à même de rejeter toute pression politique, ce système met à la disposition de l’OGE toute une gamme d’expertises, les membres qui sont des personnalités publiques éminentes contribuent à valoriser l’OGE.
Quant aux inconvénients, ils risquent de ne pas avoir conscience de certains facteurs politiques pertinents, les acteurs politiques risquent de n’avoir qu’un accès limité aux activités de l’OGE.
L’OGE risque de ne pas avoir de bons rapports avec les parties prenantes importantes du jeu électoral, les membres peuvent être confrontés à des conflits de loyauté entre le travail de l’OGE et les positions de l’organisation dont ils sont issus, les meilleurs « experts » peuvent ne pas vouloir accepter ces fonctions, trouver des membres véritablement « non partisans » peut s’avérer très difficile.
3. OGE à composition mixte : avantages et inconvénients
En termes d’avantages de l’OGE à composition mixte, ce dernier peut parvenir à équilibrer les considérations politiques et techniques, il peut stimuler la participation, les membres experts pouvant contrebalancer toute tentative d’actions partisanes .L’OGE est transparent pour les participants politiques a une certaine crédibilité professionnelle, des compétences d’experts et un point de vue politique sont conjointement mis à la disposition de l’OGE, il permet de développer des liens à la fois avec les parties prenantes importantes du processus électoral et avec les personnalités publiques reconnues, il dispose à la fois d’expérience politique et de capacités de réseautage professionnel.
Quant aux inconvénients, l’OGE peut être difficile à manier si toutes les composantes politiques et d’expertise sont représentées, l’OGE peut manquer de crédibilité si certains partis sont exclus, le consensus dans la prise de décessions peut être difficile à obtenir.[1]
C. MODE OPERATOIRE EN VIGUEUR EN RDC
En effet, l’article 10 de la loi organique portant organisation et fonctionnement de la CENI telle que modifiée et complétée à ce jour dispose ce qui suit ;
La CENI est composée de treize membres désignés par les forces politiques de l’Assemblée Nationale à raison de six délégués dont deux femmes par la majorité et de quatre dont une femme par l’opposition politique. La Société Civile y est représentée par trois délégués issus respectivement de ;
1. Confessions religieuses
2. Organisations féminines de défense des droits de la femme
3. Organisation d’éducation civique et électorale
De cette disposition, il ressort que le mode mixte est celui qui est en vigueur en République Démocratique du Congo car regorgeant les représentants des partis politiques et autres forces vives de nation.
Nous pensons que l’on doit maintenir ce mode opératoire car au regard des avantages et inconvénients de chaque mode tel que nous l’avons démontré ci-haut, le mode mixte est celui qui a moins d’inconvénients et paraît le plus favorable car il assure non seulement la représentation de toutes les parties prenantes au processus électoral, mais également parce qu’il met à la disposition de l’OGE des compétences à la fois politiques et techniques susceptibles de créer un équilibre dans le fonctionnement de l’OGE et garantit de ce fait sa crédibilité.
Et avec l’actuel modèle de gestion électorale dont on dispose, l’indépendance de l’organe ad hoc (CENI) chargé de l’organisation des élections a souvent été remise en cause à cause de la mainmise du pouvoir exécutif par l’entremise du ministère de l’intérieur.
L’organisation de l’intégralité du processus électoral par le ministère de l’intérieur s’accommode dans des pays à démocraties développées. Donc si déjà avec l’actuel modèle l’indépendance est remise en cause, opter pour le ministère de l’intérieur amplifiera les choses et entachera davantage la crédibilité du processus électoral ainsi que la sincérité des résultats. De ce fait nous proposons le maintien du modèle actuel mais avec certaines retouches.
D. SUGGESTIONS DANS LE CADRE DE L’AMELIORATION DE LA CENI
Les présentes suggestions s’articulent autour de la loi n°10/013/du 28 juillet 2010 portant organisation et fonctionnement de la commission électorale nationale indépendante telle que modifiée et complétée par la loi organique n°13/012/du 19 avril 2013. Elles portent sur :
-L’élection du président de la CENI ainsi que des membres du bureau par leurs pairs
-L’examen préalable des dossiers des délégués des différentes composantes par une commission parlementaire ad hoc
-Le renforcement de l’indépendance des membres de la CENI vis-à-vis de leurs composantes
-Il sera question de mettre en exergue les articles visés et de faire quelques suggestions dans le cadre de leur amendement.
1. Art 12 ; Les membres de la CENI sont choisis parmi les personnalités indépendantes reconnues pour leur compétence, intégrité morale, probité et honnêteté intellectuelle. La désignation des membres de la CENI est entérinée par l’Assemblée Nationale. Les membres de la CENI sont investis par ordonnance du président de la république.
Suggestion : Il s’agit ici de renforcer la procédure d’examen de dossier des candidats désignés.
Le deuxième alinéa de cet article doit être révisé de la manière suivante ; la désignation de membres de la CENI est entérinée par l’Assemblée Nationale, après examen par une commission parlementaire ad hoc de dossiers individuels des personnes désignés au regard des conditions et critères prescrits par la loi.
2. Art 14 ; Le mandat de membres de la CENI prend fin par :
-L’expiration du terme
-Le décès
-La démission
-L’empêchement définitif
-L’incapacité permanente
-L’absence non justifiée à plus d’un quart des séances pendant un trimestre
-L’acceptation d’une fonction incompatible
-La condamnation irrévocable à une peine de servitude pénale principale pour infraction intentionnelle.
L’empêchement définitif est constaté par la cour constitutionnelle à la requête du président de la CENI, après consultation de l’Assemblée plénière.
Suggestion : La finalité poursuivie ici est d’éviter qu’une composante contraigne pour des raisons inavouées d’un membre de bureau déjà en fonction à démissionner, ce qui compromet son indépendance. On doit donc ajouter un troisième alinéa à cet article de la manière suivante ; Aucun membre de la CENI ne peut être contraint à la démission par quelque pression que ce soit de la part de la composante qui l’a désigné ou d’une quelconque autorité publique.
3. Art 14 ; Dans l’accomplissement de leur mission, les membres de la CENI :
-Ne sollicitent ni ne reçoivent d’instructions d’aucune autorité extérieure
-Jouissent de la totale indépendance vis-à-vis des composantes qui les ont désignés
Suggestion : Cet amendement vise à consolider l’indépendance des membres de la CENI vis-à-vis des forces politiques et sociales. Il faudra donc un troisième point à cet article de la manière suivante : Ne peuvent prendre part aux réunions des partis politiques, regroupements politiques et organisations de la société civiles, sauf dans le cadre de la vulgarisation des textes électoraux et activités de la CENI.
4. Art 24 bis : Le bureau de la CENI est composé de six membres dont au moins deux femmes, l’une issue de la majorité et l’autre de l’opposition politique. Il comprend :
-Le président issu de la société civile
-Le vice-président issu de la société civile
-Le rapporteur issu de l’opposition
-Le rapporteur adjoint issu de la majorité
-Le questeur issu de la majorité
-Le questeur adjoint issu de l’opposition politique
Suggestion : Cet amendement vise à éviter un grand nombre des membres du bureau, inutile et budgétivore pour plus d’efficacité, consacrer l’élection des membres du bureau par leurs pairs pour plus de légitimité et de transparence.
Nous suggérons donc la reformulation suivante : Le bureau est composé de quatre membres élus par leurs pairs dont au moins une femme. Il comprend :
-Le Président
-Le Vice-président
-Le Rapporteur
-Le Questeur
BINYINGELA TSHILOLO William / Toupresse
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